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Nicolas Saudray, Le Jaune et le Noir – Sur les pas de Stendhal


Création à partir d’une idée de Stendhal, et où Stendhal devient lui-même un personnage.
Les internautes trouveront ci-dessous, successivement :

Présentation du roman

Conférence de Nicolas Saudray sur son roman « Le Jaune et le Noir »


Le 9 mars 2017 à la très stendhalienne librairie Galignani, 224 rue de Rivoli à Paris.

Il serait contraire aux usages de vous raconter l’intrigue de mon roman. Je vous parlerai de sa genèse, de ses décors et de ses personnages.

La genèse

Un jour, un début de roman écrit par Stendhal et publié après sa mort sous l’étiquette de nouvelle m’est tombé sous les yeux : Le Rose et le Vert. Quatre-vingt-six pages  dans l’édition Folio. Avouons-le, ce n’est pas ce que l’auteur de la Chartreuse de Parme a fait de mieux. Mais j’y ai trouvé un thème intéressant, celui de la jeune fille riche qui veut être aimée pour elle-même plutôt que pour ses millions. Elle se rend malheureuse, car elle rejette tous se soupirants, y compris ceux qui lui plaisent, parce qu’elle les soupçonne d’en vouloir à sa fortune. C’est un scénario d’une évidente modernité ; sous la restauration et la  monarchie de Juillet, u temps de Stendhal, il paraissait normal qu’une riche demoiselle fût épousée pour sa richesse. Désireux de faire aboutir ce qui était resté en chantier, je me suis plongé dans les papiers publiés de Stendhal. Suivant une esquisse de quelques pages, la jeune Minna, venue d’Allemagne, devait être juive et non pas protestante. Il faut savoir que notre auteur, d’opinions libérales, était prosémite. L’une de ses nouvelles en atteste, Filippo Ebreo, Philippe le juif, histoire d’un pauvre vivandier de l’armée française. Alors, pourquoi avoir changé ensuite la religion de     l’héroïne ? Sans doute parce que Stendhal connaissait mal les milieux israélites. Pour ma part, je me suis dit qu’une jeune et belle juive, arrivant à Paris en 1829 pour se marier, était, d’un point de vue purement romanesque, plus intéressante qu’une jeune et belle luthérienne. Encore fallait-il la doter d’une famille appropriée. Explorant cette fois le Journal de Stendhal, officier d’intendance de Napoléon à Brunswick (Braunschweig) durant les années 1807 et 1808, je tombe sur une phrase disant à peu près ceci : cette ville compte un seul homme intelligent, Israël Jacobson. Intrigué, je me rends sur place, j’enquête et j’exhume une personnalité extraordinaire, celle d’un banquier qui était en même temps rabbin, et que deux idées maîtresses animaient. La première : faire supprimer la taxe sur ses coreligionnaires, et autres vexations. Jacobson y est parvenu en profitant de sa qualité de conseiller financier du roi Jérôme de Westphalie, frère de Napoléon. La seconde idée, plus ambitieuse : réconcilier les chrétiens et les juifs. Elle avait été lancée un demi-siècle plus tôt par Moses Mendelssohn [1], un penseur de l’époque des Lumières. Restait à la mettre en pratique. Jacobson édifia de ses deniers une école juive dont une partie des professeurs et des élèves étaient chrétiens. On n’avait jamais vu cela. Première mondiale ! Puis il construisit, à côté de l’école, une synagogue et la fit inaugurer par les notables protestants et catholiques de la région. Les gens s’embrassaient, pleuraient d’émotion. Finies les haines ! Finies les persécutions ! Captivé moi aussi, je fis de ce pionnier le père de mon héroïne. Et je suggérai à celle-ci de poursuivre l’œuvre de son père en épousant un chrétien influent.  

Les décors

Hormis Rome qui, dans mon roman, n’est qu’une parenthèse, trois cadres géographiques se succèdent. D’abord, l’Allemagne du centre-nord. Brunswick, cité ancienne devenue industrielle, puis détruite, était alors constituée de maisons à colombages. Pour en retrouver l’esprit, il faut aller dans les ravissantes petites villes du voisinage, Goslar, Wernigerode. De là, comme mes personnages, on peut gravir le Brocken, ou mont des sorcières.   Stendhal a apprécié la simplicité de manières des Allemands, leur franc-parler, leur sentimentalité. Mais il les a trouvés ennuyeux, et ne les a pas vraiment compris – au point qu’ayant renoncé à apprendre leur idiome, il s’est mis à étudier l’anglais, à Brunswick, avec un professeur allemand. La langue d’une puissance ennemie ! Il voulait surtout pouvoir lire Shakespeare dans le texte. Peu rancuniers, les auteurs allemands (Nietzsche, Spengler…) ont célébré plus tard chez Stendhal ces qualités de concision et de clarté qui leur étaient plutôt contraires. Le second décor  de mon roman est celui du Paris de la Restauration, qui, loin d’être insipide, hébergeait une vie artistique et mondaine trépidante, à laquelle Stendhal a largement pris part. J’ai fait une place particulière à l’ancien hôtel de Monaco, rue Saint-Dominique, devenu à l’époque l’ambassade d’Autriche -  aujourd’hui ambassade de Pologne. Il faut mentionner aussi la rue de Rivoli, car Minna et sa mère s’y sont installées, tout près de cette librairie. Et n’oublions pas les quartiers miséreux d’avant Haussmann. Décor ultime : Alger. Il n’est pas du tout stendhalien : passionné par l’Italie, l’auteur de la Chartreuse a ignoré l’Orient et ses prolongements. Mais, la conquête de ce nid de corsaires ayant lieu en juin-juillet 1830, et mon jeune premier étant militaire, j’ai estimé logique qu’il y participe. Quant à Minna, sa décision de rallier une ville si peu faite pour les jeunes Européennes de bonne famille révèle son caractère de façon fulgurante.  

Les principaux personnages

La vie privée d’Israël Jacobson nous est presque inconnue. Pour être libre de la refaire, j’ai changé son nom ; il est devenu Traugott Jungbluth. Le jeune intendant Beyle entretenait certainement des relations d’affaires avec ce banquier, dont il appréciait l’esprit aigu. Je doute qu’il ait aperçu son exceptionnelle dimension religieuse. De crainte d’alourdir mon roman, je n’y ai pas raconté la fin de la vie de ce pionnier. Mais je peux vous la dire ce soir. En 1813, la domination napoléonienne sur l’Allemagne s’est écroulée. Jacobson, qui avait été l’homme des Français, est devenu suspect. Il a choisi de quitter Brunswick pour Berlin. Mais cet amateur d’innovations cultuelles (absence de chapeau durant les offices, introduction de la musique d’orgue), ce précurseur du judaïsme libéral a été écarté par les juifs orthodoxes. Il a alors tenté d’ouvrir une synagogue dans son propre domicile. Les orthodoxes ont obtenu du roi de Prusse son interdiction. Jacobson est mort amer, voire désespéré. Ainsi a pris fin une tentative de réconciliation judéo-chrétienne qui avait failli réussir. J’ai emprunté à Stendhal le prénom de Minna et son caractère entreprenant. Notre auteur a été l’un des premiers féministes de sexe masculin. Mathilde de La Mole en témoigne, ainsi que Lamiel, cette garce qui fait marcher les hommes. Toutefois, pour rendre Minna plus vraisemblable, je lui ai ajouté une touche de bovarysme, conforme à l’esprit du siècle. Elle est une Bovary énergique. J’ai également chipé à Stendhal le nom et le prénom du jeune duc de Montenotte, fils d’un maréchal d’Empire : Napoléon, abrégé par prudence en Léon. Ce duché, absent de l’armorial, commémore la première victoire de la campagne d’Italie. Mais en ce jeune héros, notre auteur a projeté tous ses rêves : il est beau, riche et major de Polytechnique. J’ai trouvé que c’était trop. J’en ai fait un simple Saint-Cyrien, ce qui n’a rien de désobligeant, car je suis moi-même fils, petit-fils et arrière-petit-fils de Cyrards. Puis j’ai retiré à ce garçon sa fortune, car pour s’intéresser à une juive, en ces années 1829-1830, il fallait un puissant mobile. Venons-en à Stendhal lui-même, dont je parlerai plus longuement, parce que c’est lui. Il m’a paru naturel d’introduire cet homme pittoresque dans mon roman, et d’en faire un personnage de sa propre création. Tous les matins, suivant ses propres termes, il partait à la chasse au bonheur. Mais le bonheur se laissait rarement attraper. Nous disons toujours « Stendhal ». Le pseudonyme complet, était M. de Stendhal, officier de cavalerie. À la Grande Armée, précédemment, il s’était fait appeler monsieur de Beyle. On a beau être mi-bonapartiste, mi-républicain, il est bon de paraître issu de l’ancienne noblesse. Le fringant Beyle des débuts, intendant, auditeur au Conseil d’État, écrivait surtout des pièces de théâtre. Aucune n’a été achevée, aucune n’a été jouée. Puis sont venues les déceptions, à commencer par la retraite de Russie, au cours de laquelle il a fait le coup de feu contre les Cosaques. Plus tard, il rédige, non pas une, mais deux biographies de Napoléon, où il mêle à l’admiration des réserves sur le despotisme. Vive Waterloo ! n’hésite-t-il pas à écrire [2]. Sinon, la liberté n’eût pas été possible. Nous imputons habituellement la défaite de l’empereur à sa démesure. La thèse de Stendhal diffère : Napoléon a succombé parce qu’il s’était entouré de médiocres, à commencer par le maréchal Berthier, prince de Wagram. Deuxième déception : à Milan,  Métilde, la femme qu’il a le plus aimée, et dont il est resté incompris. Stendhal était corpulent, pas très beau ; il tentait de se racheter par l’élégance de sa mise. Puis il a été expulsé de Lombardie, pour cause de fréquentation des carbonari. D’un point de vue littéraire, cette période est néanmoins riche. En 1817, voici juste deux cents ans, il publie Rome, Naples et Florence (deux volumes) - un livre d’humeur sur l’Italie, plein de réflexions primesautières. En 1822, c’est De l’Amour, un essai qui deviendra bien après sa mort un classique. Ne réduisons surtout pas Stendhal à ses romans. Il revient à Paris. Les années 1822-1828 sont en grande partie occupées à écrire pour des revues britanniques des articles en français qui, une fois traduits, rendent compte de la vie parisienne. Notre auteur fréquente la librairie Galignani, alors située rue Vivienne. Il lit le Galignani’s Messenger, journal des anglomanes et des Britanniques expatriés. En 1823, il publie Racine et Shakespeare, une simple brochure, qui sera, de son vivant, la plus connue de ses œuvres. Ne croyez pas que le poète français y soit écrasé par l’Anglais. Racine a droit à des compliments, lui aussi. Stendhal n’est qu’un demi-romantique. On a étudié ses moyens d’existence. Il percevait une demi-solde d’officier d’intendance mis sur la touche, et une rente viagère provenant de la vente d’un bien en Dauphiné. Ses livres et articles ne lui procuraient qu’un appoint d’environ 5 %. En 1828, il se lasse d’écrire pour les revues britanniques, et se trouve financièrement gêné. Il porte du linge rapiécé – lui, le dandy ! Il a le sentiment de collectionner les échecs, tout en donnant le change par ses lettres toujours aussi vives. Depuis quelques années, il rédige de testaments successifs, sous lesquels ses biographes flaireront des idées de suicide. Le héros [3] de son premier roman, Armance, passé inaperçu, se donne d’ailleurs la mort. Stendhal rédige ses Promenades dans Rome, mais ce n’est encore qu’une esquisse, et il devra la remanier profondément après 1831. De façon significative, il demande à un ami de les terminer, pour le cas où il viendrait à mourir.   Bref, cet homme est, moralement, au bout du rouleau. Or voici qu’arrive d’Allemagne, au début de l’automne de 1829, une jeune, belle et riche Minna. Je vous laisse imaginer la suite. Dans la réalité historique, Stendhal a été sauvé d’abord par la rédaction de son roman Le Rouge et le Noir. Le contrat éditorial a été conclu au printemps de 1830. Hélas ! Lors de la parution, à l’automne, Stendhal n’était plus en France ; il n’a pu faire la promotion de son ouvrage. Il a été sauvé surtout par la révolution de juillet 1830. Ses amis politiques, ayant pris le pouvoir, ont cherché à capter le souvenir napoléonien, et à réemployer les demi-soldes survivants. Stendhal a été nommé consul à Trieste, le port de Vienne. Les Autrichiens, se souvenant de ses liens avec les carbonari de Milan, lui ont refusé l’autorisation d’exercer. Stendhal s’est alors retrouvé consul à Civitavecchia, le port des États pontificaux sur la mer Tyrrhénienne. La position politique du pape ne lui permettait aucun veto. Mais nous sommes sortis des limites de mon roman, qui s’achève au début de 1831. L’accession d’Henri Beyle à la carrière consulaire lui procure un sursis d’onze ans et demi, durant lequel il écrit trois romans (la Chartreuse, Lucien Leuwen, Lamiel)[4], et les Mémoires d’un touriste. C’est d’ailleurs un assez mauvais consul, porté à flâner dans Rome, ou à prendre de longs congés à Paris (en-demi solde, cette fois encore). Durant les dernières années, le ministre qui lui accorde ces généreux congés n’est autre que Guizot. Stendhal est mort le 23 mars 1842, non loin d’ici. Nous célèbrerons donc dans quelques jours le cent soixante-quinzième anniversaire de cet évènement.


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Questions et réponses

Pierre-Yves Cossé :

Y avait-il de l’antisémitisme en France, à cette époque ?

N.S. :

Les juifs avaient été chassés de France sous Charles VI, donc quatre cents ans avant le début de mon roman. On avait perdu leur souvenir, mises à part trois petites communautés, les juifs d’Alsace-Lorraine, les juifs bordelais (d’origine portugaise), et les juifs du pape, autour de Carpentras. Ceux qui sont arrivés à Paris après la Révolution, Rothschild en tête, ont éveillé la curiosité plus que l’hostilité. L’un des aristocrates libéraux de la Constituante, Stanislas de Clermont-Tonnerre, s’était écrié : Il faut tout refuser aux juifs comme nation, et tout accorder aux juifs comme individus. C’était la doctrine de l’intégration totale. Napoléon s’est montré plus prudent ; il a reconnu la personnalité juive en ressuscitant le Grand Sanhédrin, disparu depuis plus de mille ans. Cette émancipation encadrée s’est effectuée sans difficulté à Bordeaux et autour d’Avignon. S’agissant de l’Alsace, l’empereur a reçu quelques doléances chrétiennes, les juifs étant considérés avant tout comme des usuriers. Mais comment le leur reprocher ? C’était l’un des rares métiers qu’on leur avait permis d’exercer, outre ceux de colporteur et de rémouleur. Balzac prête à son baron de Nucingen (une caricature de James de Rothschild) un charabia épouvantable. Antisémitisme ? Non, car on retrouve le même baragouin dans le bouche du sympathique musicien Schmücke (Le Cousin Pons), qui n’est pas juif. Ces exercices de langage amusaient le grand Honoré, au risque de lasser parfois ses lecteurs. Son usurier Gobseck est juif, mais la fille de l’intéressé, Esther, est une créature séraphique (Splendeurs et misères des courtisanes). Dans l’œuvre immense de Balzac, on ne trouve, à ma connaissance, que deux lignes suspectes : un personnage de la nouvelle Z. Marcas prédit la domination des juifs. J’explique cette incartade par l’ascension des frères Fould, dont l’un allait devenir l’un des principaux ministres de Napoléon III. Rappelons enfin le rôle majeur joué dans la musique française de l’époque par Meyerbeer et Offenbach : deux juifs nés et formés en Allemagne, à qui personne n’a reproché leur origine. L’antisémitisme n’est vraiment apparu en France qu’après la guerre de 1870. C’est à mon avis une réaction à la réussite matérielle et artistique des juifs, cause de jalousie. x

Jacques Warin :

À l’époque du roman, Stendhal s’est trouvé à Paris une jeune maîtresse italienne, Giulia Rinieri, dont il était très content. On ne saurait donc le considérer comme au bout du rouleau.

N.S. :

Cette rencontre a en effet contribué à le remettre en selle. Mais, dans mon roman, l’arrivée de Minna, plutôt déstabilisante, est antérieure de quatre mois. Et de toute façon, l’écrivain n’a pu épouser son Italienne.

J.W. :

Avant Le Rose et le Vert, Stendhal a écrit une nouvelle, Mina de Vanghel, dans laquelle on voit l’héroïne, un Julien Sorel féminin, s’introduire dans une famille pour réaliser ses desseins.

N.S. :

En effet, j’ai simplifié tout à l’heure la genèse de mon roman.  Cette  première Minna est assez différente de la suivante, et surtout de la mienne, dont le souci principal n’est pas de conquérir, mais de se défendre contre des soupirants trop intéressés. De surcroît, malgré une velléité de l’auteur, les deux Minna de Stendhal sont protestantes, et non juives. x

Patrick Samuel :

Les personnages de Stendhal parlent un langage uniforme.  Le parvenu Julien Sorel s’exprime comme Mathilde de La Mole ou comme le marquis. Comment l’expliquer ?

N.S. :

Contrairement à Balzac, qui décrivait minutieusement ses personnages, leurs façons de parler et leurs demeures, Stendhal était peu sensible aux apparences physiques, aux vêtements, aux décors. Il s’intéressait à l’essence des êtres. Cela n’a nullement empêché l’amitié entre les deux écrivains. x

Une auditrice :

Que dirait Stendhal s’il revenait aujourd’hui et lisait votre roman ?

N.S :

Il m’en voudrait peut-être de l’avoir décrit au plus bas de sa courbe. J’ai même révélé qu’il s’était procuré un dentier (détail trouvé dans son Journal). Mais je pense qu’il apprécierait la réalisation d’une idée romanesque venue de lui. Et qu’il aimerait revivre, à travers mes pages, cette vie parisienne dont, malgré ses railleries, il ne pouvait se passer.  
         

 [1] Grand-père du compositeur Félix Mendelssohn.

[2] Mémoires d’un Touriste.

 [3] Octave (encore un polytechnicien).

 [4] Les deux derniers restent inachevés.

La presse a aimé

Philippe Saint-Robert dans le mensuel « Service littéraire »
service littéraire de février 2017 source : Extrait de l'article Nicolas Saudray par Philippe de Saint Robert, paru dans « Service littéraire », Numéro 103 – Février 2017.